- O.I.T.
- O.I.T.Née à l’aube du XIXe siècle, à partir de réflexions éthico-économiques sur le «coût humain» de la révolution industrielle, l’idée d’une législation internationale du travail procédait d’une triple nécessité: l’amélioration du sort matériel et moral des masses laborieuses, le maintien de la paix sociale et l’égalisation des conditions de la concurrence économique (à une époque où le travail n’était qu’un élément quelconque du coût de production). Cette idée fut avancée, sous diverses formes, par Robert Owen, Daniel Le Grand, Charles Hindley, Louis-René Villermé, Édouard Ducpétiaux, Aldolphe Blanqui aîné... dont les appels ne rencontrèrent cependant d’écho ni auprès des gouvernements ni auprès des travailleurs encore inorganisés. En 1901, un pas décisif fut franchi avec la création – par un groupe d’hommes de science et d’économistes – de l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs qui allait réaliser une œuvre de pionnier en matière de réflexion, de recherche et de documentation sociales. À l’aide d’un Office international du travail, qui lui servait de secrétariat, l’Association inspira avec bonheur certains gouvernements intéressés par l’action sociale. Elle fut ainsi à l’origine des conférences diplomatiques convoquées à Berne par la Suisse en 1905-1906 et qui aboutirent à l’adoption des premières normes internationales du travail.Les multiples conférences syndicales (nationales et internationales) organisées au cours de la Première Guerre mondiale recommandèrent l’insertion, dans le futur traité de paix, de clauses sociales ainsi que de dispositions en vue de la création d’une institution internationale du travail permanente. De telles revendications ne pouvaient être rejetées par les Alliés: les sacrifices consentis par les masses laborieuses au nom de l’«union sacrée» pour l’effort de guerre méritaient une contrepartie légitime, sans compter qu’il convenait d’encourager les aspirations réformistes des travailleurs, afin de contrer la fascination que pouvait exercer la révolution russe. En conséquence, l’acte constitutif de l’O.I.T. fut – comme le Pacte de la Société des nations (S.D.N.) – élaboré au sein de la conférence de la paix de Paris, en 1919, et adopté en tant que partie XIII du traité de Versailles.Créée en tant qu’organisme indépendant, l’O.I.T. fut toutefois reliée à la S.D.N. par diverses dispositions organiques, instituant notamment une unicité de siège (Genève), de composition étatique (l’appartenance à l’O.I.T. découlait ipso facto de l’admission préalable à la S.D.N.) et surtout budgétaire (le budget de l’O.I.T. faisait partie intégrante du budget général de la S.D.N.). En fait, le dynamisme de l’O.I.T. favorisa d’emblée un processus croissant d’autonomie par rapport à la S.D.N. Ainsi, l’Organisation admit en son sein des pays n’appartenant pas à la S.D.N. (États-Unis) tout en conservant la plupart de ceux qui s’en retiraient. En 1939, la vitalité de l’O.I.T. contrastait singulièrement avec l’effondrement de la S.D.N. Cette vitalité fut confirmée pendant la Seconde Guerre mondiale. Dès 1940, l’O.I.T. transféra temporairement ses services principaux à Montréal. Elle poursuivit ainsi un certain nombre d’activités et organisa des réunions, dont deux conférences internationales du travail – l’une en 1941, à New York, qui marqua son ralliement à la cause des Alliés et l’autre en 1944 à l’issue de laquelle elle adopta un texte fameux (Déclaration de Philadelphie) redéfinissant ses objectifs fondamentaux à la lumière de l’évolution sociale intervenue depuis 1919. L’O.I.T. rompit ensuite ses liens constitutionnels avec la S.D.N. et révisa sa Constitution, ce qui lui permit de devenir la première en date des institutions spécialisées du système des Nations unies (accord O.I.T.-O.N.U. du 30 mai 1946).Composée en 1919 de 42 pays (devenus 62 en 1936, mais réduits à 52 en 1945), l’O.I.T. compte au 1er juin 1994 171 membres. Irrités par la politisation des débats et de certaines activités, les États-Unis la quittèrent momentanément (1977-1980). Depuis 1945, l’Organisation n’a temporairement perdu que trois États: l’Afrique du Sud (1966), l’Albanie (1967) et le Vietnam (1985). En 1969, année de son cinquantième anniversaire, elle s’est vu attribuer le prix Nobel de la paix.Objectif et domaines d’actionL’objectif fondamental de l’O.I.T., tel qu’il est formulé par la Constitution et explicité par la Déclaration de Philadelphie qui en fait partie intégrante, repose sur le concept de «justice sociale». Celui-ci doit être entendu dans son acception la plus large, c’est-à-dire à partir de l’affirmation du droit de tous les êtres humains, sans distinction aucune, de «poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales». Cette définition formulée dans la Déclaration de Philadelphie englobe la protection des droits de l’homme et met en relief la primauté du social dans toute planification économique. Elle étend le mandat initialement assigné à l’O.I.T., en 1919, de la «tutelle des faibles» à la protection de la condition humaine dans son ensemble. En conséquence, depuis 1945, l’Organisation a déployé ses efforts dans trois directions: les droits de l’homme, la politique de l’emploi et – comme autrefois – les conditions de travail.D’une certaine manière, toutes les entreprises de l’O.I.T. visent la protection des droits fondamentaux de l’individu dans ses activités laborieuses. Sur le terrain de la liberté syndicale , l’Organisation a à son actif la convention no 87 de 1948, instrument juridique fondamental complété par la convention no 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective (1949) ainsi que par diverses recommandations adoptées à partir de 1951. La valeur de cet ensemble normatif est renforcée par l’existence d’une procédure spéciale de contrôle (commission d’investigation et de conciliation, comité de la liberté syndicale) dont l’originalité est de jouer même en dehors de toute ratification des conventions nos 87 et 98.Touchant la non-discrimination , l’intervention de l’O.I.T. a pris la forme d’une action normative doublée de mesures spécifiques contre l’apartheid en Afrique du Sud. En 1958, la convention no 111 réglementa la matière, pour toutes les catégories de travailleurs et par rapport à la politique globale de l’emploi, dans une perspective neuve: ces textes engageaient les États non seulement à éliminer toute discrimination dans l’emploi et la profession, mais surtout à promouvoir l’égalité des chances et de traitement. Quant à la question de l’apartheid, elle s’imposa de manière aiguë à partir de 1961. Elle prit d’emblée une dimension si dramatique qu’elle mit l’O.I.T. au bord de l’éclatement – qui ne fut finalement évité qu’à la suite de l’annonce en 1964 du retrait volontaire de l’Afrique du Sud ainsi que d’un dispositif fondé sur une déclaration solennelle condamnant l’apartheid en tant que «politique raciale dégradante, criminelle et inhumaine» (réactualisée en 1981).L’abolition du travail forcé ne constituait pas un domaine d’action nouveau pour l’O.I.T., qui avait, dès 1930, adopté une convention (no 29) abordant le problème essentiellement dans l’optique de l’exploitation économique de la main-d’œuvre des pays sous administration coloniale. En 1957, un nouvel instrument (convention no 105) imposa l’abolition du travail forcé en tant que mesure de coercition ou d’éducation politique, de mobilisation nationale économique, de discipline de travail, de punition pour grève, de discrimination raciale, sociale, nationale ou religieuse. L’opportunité de telles dispositions fut contestée par divers pays de l’Est et du Tiers Monde qui invoquèrent, selon les cas, les exigences de l’état d’urgence, de la défense nationale, de la planification économique, du caractère rééducatif ou pénal de certaines formes de contrainte au travail, de certaines formules de mobilisation des ressources humaines combinant formation et travail, etc. À la suite de ces difficultés, en 1970, la recommandation no 136 vint poser des critères destinés à empêcher, dans divers cas, les abus ou les violations des normes internationales sur le travail forcé; sur un plan plus général, elle relia le problème du travail forcé à celui, plus global, des politiques de l’emploi visant à corriger les déséquilibres existant dans l’utilisation de la main-d’œuvre.Dans le domaine de l’emploi , l’évolution récente de l’O.I.T. s’est effectuée dans un climat difficile et parfois non exempt de polémique. Cette évolution a d’abord emprunté la voie normative avec l’adoption, en 1964, d’instruments conçus dans une optique globale, c’est-à-dire qui faisaient du plein-emploi l’objectif primordial de la politique économique et non la conséquence plus ou moins directe du P.N.B. (convention no 122). Elle a ensuite été marquée par le lancement en 1969 du programme mondial de l’emploi (P.M.E.), une entreprise interdisciplinaire et interinstitutionnelle proposant des recherches approfondies sur l’emploi ainsi qu’une action opérationnelle originale par la voie de «missions de stratégie globale» et d’«équipes régionales de promotion de l’emploi». En 1976, à l’issue de la conférence mondiale de l’emploi, la portée du P.M.E. fut encore élargie sur la base du concept de la «satisfaction des besoins essentiels».Un instrument nouveau visant à permettre à l’O.I.T. de mieux remplir l’une de ses missions traditionnelles vit le jour en 1976: le programme international pour l’amélioration des conditions et du milieu de travail (P.I.A.C.T.). Procédant d’une approche globale, multidisciplinaire, promotionnelle et éminemment pratique, celui-ci comprenait trois grands volets: la sécurité et l’hygiène du travail, la durée et l’aménagement du temps du travail, le contenu et l’organisation du travail. Sa complémentarité avec le P.M.E. mérite d’être relevée. En effet, alors que celui-là est axé sur la promotion de l’emploi productif, celui-ci met l’accent sur la dimension qualitative des emplois créés.StructuresLe système institutionnel de l’O.I.T. comprend trois organes principaux: le Conseil d’administration (C.A.), la Conférence internationale du travail (C.I.T.) et le Bureau international du travail (B.I.T.) avec, à sa tête, un directeur général.En tant qu’organe exécutif, le C.A. exerce un rôle prépondérant: responsable de la direction générale et de la coordination des programmes de l’O.I.T., il détermine l’ordre du jour de la C.I.T., contrôle les dépenses, choisit en première instance le directeur général, lequel n’est responsable que devant lui seul. Pour sa part, l’organe plénier qu’est la C.I.T. est essentiellement compétent pour tout ce qui touche à l’élaboration, l’adoption et le contrôle des normes internationales du travail; ses fonctions s’étendent aussi à l’admission des États membres, l’élection du C.A., l’adoption du budget et la révision de la Constitution. Quant au B.I.T, ses tâches sont plus celles d’un «bureau» que d’un simple secrétariat; elles consistent à établir l’épure des normes internationales du travail, effectuer des enquêtes spéciales, à fournir des services d’assistance technique, à participer au contrôle des normes, etc. Enfin, le directeur général est davantage que le «plus haut fonctionnaire» du B.I.T. Vis-à-vis du C.A., il exerce des fonctions qui dépassent celles d’un secrétariat traditionnel, en ce sens que l’établissement de l’ordre du jour du conseil implique, dans une certaine mesure, son concours. Par ailleurs, il a la prérogative d’exprimer des vues propres dans le rapport annuel qu’il soumet à la C.I.T. sur les activités de l’O.I.T., ainsi que sur l’évolution économique et sociale du monde. Le rôle éminent du directeur général découle en fait de pratiques coutumières instaurées par le fonctionnaire international hors pair que fut le Français Albert Thomas lors de son mandat (1919-1932) et maintenues par ses successeurs – le Britannique Harold Butler (1932-1938), l’Américain John Winant (1938-1941), l’Irlandais Edward Phelan (1941-1948), l’Américain David Morse (1948-1970), le Britannique Wilfred Jenks (1970-1974), le Français Francis Blanchard (1974-1989) et le Belge Michel Hansenne (élu en 1989).Par ailleurs, l’O.I.T. est plus qu’une simple institution intergouvernementale. Son fonctionnement repose sur la collaboration directe et étroite de trois composantes: les gouvernements, les employeurs et les travailleurs. À la C.I.T., chaque délégation nationale comprend quatre personnes: deux représentant l’État et deux autres représentant respectivement les employeurs et les travailleurs (choisis par le gouvernement en accord avec les organisations professionnelles les plus représentatives du pays). Les délégués non gouvernementaux siégeant à la C.I.T. ainsi qu’au C.A. jouissent de l’autonomie de suffrage , c’est-à-dire qu’ils peuvent émettre un vote différent de celui de l’État. En raison de la charge financière inhérente à cette représentation multiple, le nombre des délégations incomplètes en provenance du Tiers Monde a eu tendance à s’accroître; en outre, les délégations émanant de pays non respectueux de la liberté syndicale n’ont pas un caractère réellement tripartite. Bien qu’il ait ainsi perdu une certaine part de son effectivité, le tripartisme demeure néanmoins l’élément qui confère à l’O.I.T. sa spécificité fondamentale.Méthodes d’actionCréée au nom de l’impératif d’une législation internationale du travail, l’O.I.T. fonctionna d’emblée (et pendant plusieurs décennies) comme une institution privilégiant l’action normative à travers deux catégories d’instruments: les conventions (traités juridiquement obligatoires pour les États membres ratifiants) et les recommandations (directives d’orientation non contraignantes) internationales du travail. En soixante-dix ans d’activité, l’Organisation a ainsi adopté 168 conventions (faisant l’objet de plus de 5 400 ratifications) et 176 recommandations. Ce véritable code international du travail couvre un champ considérable: les droits de l’homme (liberté syndicale, non-discrimination, travail forcé), l’emploi, la politique sociale, l’administration du travail, les relations professionnelles, les conditions de travail, la sécurité sociale, sans oublier la protection de diverses catégories générales ou particulières de travailleurs (femmes, enfants ou adolescents; travailleurs âgés, étrangers ou migrants; populations aborigènes; gens de mer, métayers, personnel infirmier et des plantations...). Le respect des normes internationales du travail est garanti par un système de contrôle contraignant et assez efficace qui fait de l’O.I.T. l’un des organismes les plus avancés des Nations unies. Ce système comprend des procédures régulières (fondées sur l’examen de rapports périodiques fournis par les États, lesquels peuvent, en cas de violation, être inscrits sur une «liste spéciale»), ainsi que des procédures ad hoc fonctionnant sur la base soit de «réclamations» (déposées contre un État membre par une organisation d’employeurs ou de travailleurs), soit de «plaintes» (formulées contre un État membre par un autre État membre, par le C.A. ou par un délégué quelconque de la C.I.T). En outre, la liberté syndicale fait l’objet d’une procédure spéciale de contrôle.Parallèlement à l’action normative, l’action opérationnelle a connu, après 1945, un développement considérable, tant quantitatif que qualitatif. Les ressources financières, essentiellement extrabudgétaires, qui lui sont allouées (en provenance du P.N.U.D. et de fonds gouvernementaux dits «multibilatéraux») dépassent maintenant le total du montant du budget régulier de l’Organisation. La coopération technique (fournie sous forme d’experts, de bourses et d’équipement) se déploie dans cinq domaines principaux: sécurité sociale, conditions et milieu de travail, relations professionnelles, emploi et, surtout, formation professionnelle. Les activités opérationnelles sont conçues en fonction non seulement des besoins de pays donnés, mais aussi de besoins régionaux, sous-régionaux et interrégionaux. En outre, elles bénéficient aux partenaires sociaux et aux mouvements de libération nationale africains aussi bien qu’aux gouvernements. L’expansion de la coopération technique a eu pour effet de renforcer les effectifs et le poids d’une catégorie particulière de fonctionnaires internationaux (les hommes de terrain recrutés pour des périodes précises) et d’entraîner une décentralisation poussée des structures administratives du B.I.T. Enfin, il est à remarquer que l’action opérationnelle et l’action normative ne sont pas entrées en concurrence: toutes deux concourent, dans une harmonieuse fécondité, à la réalisation des objectifs constitutionnels de l’O.I.T.La réforme de 1986Le 24 juin 1986, après plus de vingt ans de débats, la C.I.T. a adopté une série d’amendements constitutionnels et réglementaires d’une portée considérable. La problématique de cette très complexe «réforme de la structure» de l’O.I.T. inclut la démocratisation du C.A., le réaménagement des pouvoirs de celui-ci par rapport à la C.I.T. (touchant la désignation du directeur général et la révision de la Constitution), l’amélioration du fonctionnement technique et politique de la C.I.T. Schématiquement, elle se ramène à un grand marchandage Nord-Sud, qui a permis au Tiers Monde de modifier les règles du jeu au sein du C.A. (augmentation du nombre de sièges de 56 à 112, abolition des sièges revenant de droit aux 10 «puissances industrielles les plus considérables», répartition des sièges gouvernementaux entre quatre régions géographiques) et aux Occidentaux d’obtenir une procédure permettant de maîtriser certaines manifestations du phénomène de la politisation à la C.I.T. (filtrage des résolutions condamnatoires); les pays de l’Est firent visiblement les frais de ce marchandage dans la mesure où leur revendication majeure (la représentation des employeurs socialistes au C.A.) fut écartée. L’évolution à venir de l’O.I.T. dépendra dans une assez large mesure de la manière dont seront appliquées les dispositions de la réforme de la structure – dispositions qui, en 1994, étaient encore en cours de ratification.O.I.T.Sigle de Organisation internationale du travail.
Encyclopédie Universelle. 2012.